20 Août 2019

Le 1er tour de la Martinique en Yoles rondes

Cet article passionnant est emprunté à l’association Tous créoles qui l’a publié en juillet 2010.

Bien connu pour sa passion des oiseaux et de la nature martiniquaise, Marcel BON SAINT-CÔME a également été l’un des pionniers de la yole ronde. Aujourd’hui disparu, dans ses mémoires destinés à sa famille et à ses amis, il raconte le premier tour des yoles jamais organisé à la Martinique.

En 1966, le 17 mai, nous sommes les premiers, mon beau-frère Jean DORMOY, mon ami Guy de LUCY et moi-même, à organiser, en tant que non-marins, le tour de la Martinique en yoles rondes. Il y a alors quatre bateaux : « Mouette », qui appartient à mon beau-frère, « Étoile », avec Jacques VIVIES comme patron et Michel ASSELIN, « Frisson » avec Colo BAUCHAREL, Henri HAYOT et Henri URSULET, et « Odyssée » avec Marcel EXILIE, Édouard EXILIE et Georges FAULA.

Nous avons recommencé en 1967 et en 1968, et cela reste pour moi de grands moments.

La première année, nous n’étions que trois co-équipiers, et ce fut très difficile. Je me rappelle qu’au terme de la troisième étape, lorsque nous avons débarqué à 17h00 à Sainte-Anne, nous étions incapables de marcher tant nous étions fatigués, car nous avions rencontré des courants contraires au Rocher du Diamant. Alors nous avons décidé d’agrandir l’équipe.

En 1967, nous ajoutons donc un quatrième participant qui est Alain de WOUVES, et nous changeons « Mouette » pour « Boeing 707 », un bateau remarquable de sept mètres cinquante, très rapide mais pas bien défendu à la mer : quand il entrait dans la vague, il plongeait, et nous embarquions des centaines de litres d’eau. Nous avons tout essayé, même la pompe électrique.

Mais la meilleure méthode restait le bon vieux « coui ». Alors, je me mettais au fond de la coque et je pompais, faisant un travail de Romain. « Imitez César et pompez ! ». Une fois, au Cap-Ferré, au lieu de passer au large nous avons voulu prendre la passe. J’avais enlevé toute l’eau qui se trouvait dans le bateau. Alain de WOUVES était à la barre et Jean, mon beau-frère, décide d’aller à l’avant arranger la voile car le mât avait un peu tourné. Moi, j’étais préposé à la voile et j’avais l’écoute en main. Lorsque nous entrons dans la passe de la Baie des Anglais, je ne sais pas comment Alain fait son compte, mais nous enfournons. Et je vois Jean avec de l’eau jusqu’à mi-poitrine. Heureusement, j’ai lâché la voile, mais en quelques secondes, toute l’eau que j’avais écopée était revenue !

Cela dit, nous n’avons jamais coulé ! Jacques VIVIES, oui, quatre fois, son frère, deux fois, Marcel EXILIE, aussi, une fois, mais nous, jamais. Nous avons eu de l’eau au ras du bord, nous baignions jusqu’au ventre, et nous pompions !

Nous avions deux voiles, une grande de vingt-cinq mètres carrés que nous utilisions habituellement et une plus petite de dix-sept mètres carrés pour le mauvais temps. Un pêcheur, Félix LAGIER, nous suivant en canot à moteur avec la deuxième voile, et cela nous est arrivé trois fois de changer de voile en course. Ce n’est pas marrant de changer une voile en pleine mer ! Nous jetions la grande voile dans l’eau, le pêcheur la récupérait, nous passait l’autre et nous faisions l’échange. Ce sont des souvenirs très pénibles !

La deuxième année, le vent est très fort et nous n’arrivons pas à passer le Rocher du Diamant. Nous essayons depuis neuf heures du matin, à midi nous y sommes toujours… Nous n’avons plus d’eau à boire. Nous voyons alors arriver André ASSELIN avec son bateau, qui nous tend une bouteille. Étant le premier bois-dressé, c’est moi qui me trouve le plus près de lui. J’attrape la bouteille et bois goulûment, puis je la passe aux autres qui font de même. André, alors, s’écrie : « Ce n’est pas de l’eau, c’est du rhum ! » Je lui réponds : « On sait ! » Mais nous avions tellement soif que la bouteille était vide ! Ca nous a complètement requinqués.

Une autre année, nous allons de Sainte-Anne au François (l’arrivée), et nous partons en même temps qu’Albert DORMOY qui, lui, a un petit yacht. Il y a du vent ce jour-là, à tel point que non seulement nous arrivons avant Albert, mais nous arrivons à l’aise ! Et quand nous le retrouvons, il s’exclame : « Mais comment avez-vous pu tenir avec ce vent ? Moi-même j’avais du mal ! » C’est là que j’ai compris à quel point la yole était un bateau extraordinaire.

Une fois, nous avons organisé une rencontre avec un équipage de femmes, avec deux gommiers. Le départ était à l’îlet Simonnet. Quand le gommier des femmes est arrivé en face, à la Monnerot, il n’a pas pu tourner. Je l’ai retrouvé planté dans les mangles… !

Un soir que nous étions partis, Jean et moi, nous entraîner avec « Boeing 707 » après le travail, nous coulons dans la baie du François. Il est huit heures du soir. Alors nous enlevons le mât que nous attachons au bateau, et nous attendons en nous racontant des histoires, chacun dans notre baignoire, Jean dans la coque et moi dans la voile, que l’on vienne nous chercher.

Tout cela a été pour moi une aventure admirable. Admirable. C’est une période de ma vie que j’ai beaucoup appréciée.

Dernièrement, j’ai été invité avec Guy de LUCY et Alain de WOUVES, en tant que pionniers, par la Société des Yoles rondes qui a fait une réception en notre honneur !